jeudi 23 mai 2013

Un goût de sauvage

     La fonction de "compagnie" pervertit-elle l'animal ?

     Débat philosophique s'il en est, j'imagine ou du moins j'espère, que tous les éleveurs de France et de Navarre ont réfléchit à cette question. L'intérêt n'étant pas d'y répondre mais de se l'être posé.

     De tous temps, l'animal était un auxilliaire de l'homme : pour le travail de la terre, la chasse, le transport ou encore la guerre. Ainsi, peu attaché à l'esthétisme, il était primordial dans la sélection de s'axer sur les qualités de "travail". L'animal avait donc une fonction, une utilité, à l'instar du chien de chasse par exemple.
     Si cette sélection aujourd'hui existe encore de manière confidentielle (ou presque) est-ce que nous ne risquons pas de perdre l'essence même de ce qui nous avait tant plu dans la race ? Je m'explique.

     Prenons le cas du Border Collie, chien à la mode par excellence. Ce compagnon des bergers des Highlands, très efficace dans son travail de chien de troupeau a débarqué en France dans les années 80. Son intelligence, son éducation facile et sa remarquable aptitude au travail ont rapidement fait de lui la race préférée de nos éleveurs de brebis et de vaches de l'hexagone.
     Parallèlement, ses qualités sportives sont remarquées par les amateurs d'agility (sport canin qui consiste à réaliser un parcours d'obstacle en un minimum de temps). Sur le podium, cette race est très largement dominante. Rapidement, nous avons déjà détourné la race vers une fonction "loisir" sans intérêt majeur pour la sélection, si ce n'est sortir du chien champion d'agility : ne devrait-on pas s'en battre les gonades ?
     Par la suite, nous le retrouvons en compétition d'obéissance, en concours de beauté et finalement dans les foyers français en tant que chien de compagnie jusqu'à investir les appartements citadins. Triste sort pour une race qui n'aurait peut-être pas dû quitter la verdûre de ses hauts plateaux.

     Cette observation est extrapolable à d'innombrables races de chiens : le Husky sur la côte d'azur, le Jack Russel en studio, le Patou en chaîne...
     Il en est de même pour nos autres compagnons à 4 pattes : le chat, le cheval, le lapin... et bien entendu : le furet.
     La fonction du chat était de débarasser les rongeurs nuisibles des maisons, des fermes... Aujourd'hui, bien peu de chats ont croisé la route d'une souris, sa principale utilité actuellement étant de tenir compagnie à la ménagère ou déstresser le cadre supérieur.
     Le cheval, véhicule économique par le passé, aujourd'hui nous en trouvons des miniatures pour tondre les pelouses.
     Le lapin dont l'utilité première était de nous alimenter a sa version naine pour agrémenter les mercredis après-midi de nos chères têtes blondes qui, elles, pour le coup, ont la fonction de traumatiser ladite bête à l'aide du shampoing, de la brosse et de la laisse achetés par maman, car oui, il vaut mieux que l'enfant dégomme le lapin plutôt que de s'abrutir devant un DVD.
     Enfin, notre furet, chasseur par excellence, se retrouve dans les salons à coté du radiateur et nourrit à coup de nutrigel. Parfois même installé à coté de son futur pote Pinou, le lapin Rex de la petite dernière puisque bien entendu, si l'ado gothique et révolutionnaire avait droit à son fufu (des fois qu'elle nous foute la paix quelques jours avec cette nouveauté), il devenait alors inconcevable que la cadette n'est pas elle aussi un petit animal à laisser moisir dans un coin de la pièce. Un animal de compagnie est il fait pour un enfant ? Ce sera sans doute un autre thème que j'aborderai...
     Paradoxalement, sans tenir compte des quelques passionnés qui tentent désespérément de préserver les races qu'ils affectionnent; c'est sans doute la fonction de compagnie qui sauvera les races.
     La fédération de chasse compte de moins en moins d'adhérents et pour cause, c'est une véritable chasse aux sorcières qui leur est livrée depuis des années. Le manque de temps, le coût et cette mauvaise image qui colle à ce hobby, déciment les rangs de ces gestionnaires de la nature et par là même, les cheptels de chiens de chasse sélectionnés pour leurs aptitudes.
     Là encore, il en va de même pour chaque espèce qui a été, à un moment ou un autre, auxilliaire de l'homme.
     Quid de notre furet. Ce petit animal aujourd'hui très sympathique, l'était bien moins autrefois. On ne lui demandait pas d'accepter les papouilles sur le canapé mais d'être efficace à la chasse. Notre petit croqueur de lapins est préservé par les "piégeurs" qui effectuent des prélèvements de population de lagomorphes sur un site donné pour finalement relacher les sujets sur un secteur dépeuplé. Là encore, nos gestionnaires de la faune voient leurs effectifs se réduire. La gestion des nuisibles fera l'objet d'un billet sans doute légèrement assassin à l'encontre des associations dans les prochains jours, parce que gérer la faune sauvage ne passe pas forcément par le retour des prédateurs et parce que nos charmantes associations n'ont jamais exploité la moindre parcelle de terre.
     Notre petit mustélidé est donc aujourd'hui bien répendu dans les foyers, moins dans les clapiers. Nous voyons apparaître des couleurs originales et des comportements plus proches de la moule que du putois. Devons nous nous alarmer de ce constat et quelles devraient-être les sélections des élevages dans l'avenir ?
     Pas simple.
     Pas simple parce que le furet-moule a investit les foyers et parce que les foyers sont demandeurs de furet-moule. Par souci de simplicité, nous appellerons cet hybride un "Mouret". Si nous avions conservé le phénotype ainsi que le caractère de nos furets chasseurs, nous n'aurions pas rencontré un tel succès auprès du grand public. Par conséquent, la question suivante est "fallait-il démocratiser le furet ?"
     C'est parce que nous avons aujourd'hui un réel marché autour du Mouret que nos vétérinaires français commencent à être compétents. De même pour les produits spécifiques issus des laboratoires pharmaceutiques qui n'ont jamais développé un seul cachet sans qu'il n'y ait un intérêt économique. Un intérêt que nous n'aurions jamais suscité si nous n'avions fourni que des agrafeuses zibelines ou albinos.
     Ainsi, l'un ne va pas sans l'autre. Afin de faciliter son travail, l'éleveur est contraint d'exploiter le filon "compagnie". Exploitation qui sera bénéfique pour tous. Des soins plus performants, une diversité d'offre, des animaux adaptés au canapé. Ce volume permet en outre aux puristes du rustique d'accéder aux progrès constants de la médecine vétérinaire.
     Si le Mouret est au putois ce que le Chihuahua est au loup, reconnaissons que les avancées de la science sont plus imputables à l'erzatz de chien qu'à notre Lupus.

     Nous devons donc beaucoup au furet-moule mais est-ce suffisant pour en conclure qu'il est l'avenir de l'espèce ? Certe non.
     Attachons nous à l'origine même de ce NAC, sujet précieux des esthètes qui s'entêtent à tâter du putois.

     Le goût de sauvage, nous y voilà, mouvement idéologique à part entière, soutient que la diversité génétique étant dans la nature, nos furets de compagnie, pour leur avenir, devraient ressembler plus à des putois qu'à des Mourets.
     Bien peu perçoivent la fonction de travail qui se perd et qui m'est précieuse pour ne s'attacher qu'à l'idée qu'il est de bon ton d'avoir un hybride sauvage dans son salon sans réellement comprendre l'intérêt de la sélection, à savoir : l'instinct.
     C'est cet instinct de prédation, à l'instar du border collie, qui nous sera utile pour perpétrer la fonction première du furet.

     Si je conçois aisément qu'il faut être particulièrement atteint pour posséder un husky dans un studio, je ne pourrais pas soutenir qu'un putois en appartement soit exclusivement réservé aux gens saints d'esprit.
     Le comportement même d'un tel animal ferait renacler plus d'un propriétaire à l'idée d'inviter des amis à l'apéro.
     Comprenons-nous bien, le putois ou l'hybridation de ce dernier avec le furet, hybridation dont le nom est un terme déposé et dont je ne donnerai pas l'origine afin de ne pas gonfler l'égo d'un ancien président d'association de sauvetage de mustélidés qui n'a une comme seule bonne idée que celle de marier un animal sauvage avec des furettes. Au regard de la législation et de la politique des associations, c'est, pour que tout le monde comprenne, comme si Brigitte Bardot portait une chapka en bébé phoque. Je disais donc.... ah oui, le comportement du putois ou de sa proche descendance n'est pas une sinécure.

     Nous voilà en présence d'un dilème. La fonction, aspect tangible et sensé d'une sélection, n'est pas à elle seule l'avenir d'une espèce qui tomberait rapidement dans l'oubli sans la "compagnie".

     Vous me direz qu'il suffit alors de conserver la fonction tout en travaillant le caractère. Malheureusement, la nature est capricieuse et n'aime guère les compromis. Les filles intelligentes sont rarement belles, on ne peut pas avoir le barf et l'argent du barf.
     Santé, caractère, morphologie et fonction, sont quatre critères qu'il est impossible de réunir en une seule bête.


     En somme, la fonction doit à la compagnie l'évolution qui lui permettra d'exister à travers le temps. L'un n'existe donc pas sans l'autre. Par conséquent, il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises orientations, il ne s'agit que d'un seul et même avenir qui emprunte des chemins différents.

    
    

2 commentaires:

  1. Félicitations Monsieur !

    Voici un rapport qui va faire hurler les fufutistes, les soi-disant éleveurs et commenter dans les chaumières; toutefois ces vérités étaient à dire au moins une fois. Une bonne fois pour toute !

    Permettez à certaines personnes comme moi de faire tourner votre texte, voire même au-delà des frontières.

    Vous me redonnez le courage d'aller sur les forums de soi-disant professionnels de l'éducation du furet qui tentent de les transformer en petits toutous obéissants, sans tenter d'apprendre ce qu'est un furet à l'origine. Je le compare au chien berger du Caucase : inutile de chercher à le dresser; inutile également de s'acheter un furet pour le faire vivre dans une cage; inutile de l'offrir comme jouet à leur enfants...

    Merci et merci !



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    1. Merci à vous pour le commentaire.

      Ce texte est libre de circuler là où bon vous semble.

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